Le phylloxéra et la station d’essai de vignes américaines à Douanne
Publié le mercredi, 03. Avr 2024
Retour au blogDepuis sa première apparition dans l’ouest de la France dans les années 1860, le phylloxéra, importé des États-Unis, s’est répandu en Europe. Sur son chemin vers l’est, il est apparu pour la première fois en Suisse en 1873, dans la commune genevoise de Pregny. Puis, en 1905, il a atteint le lac de Bienne au Landeron. En 1913, le phylloxéra a été découvert dans les Friesen (Chavannes), en 1917 en dessous du Festi (Gléresse) et en 1920 dans l’Untere Roggete à Tüscherz.
Le phylloxéra de la vigne (Phylloxera vastatrix) a un cycle de vie compliqué avec différents stades de puceron, mouche, nymphe, larve, œuf et puceron des racines. Le puceron vivant en surface ne menace la vie de la vigne qu’en cas de très forte infestation, mais le puceron des racines, qui suce les racines de la plante, est plus grave. Le cep de vigne meurt alors.
L’oïdium et le mildiou (Peronospora; Plasmopara viticola) avaient également été importés des États-Unis en Europe quelques années seulement avant le phylloxéra. Les maladies et les parasites ainsi que les années humides et froides ont menacé la viticulture européenne de fond en comble. Le danger et la progression inéluctable du ravageur ont contraint les viticulteurs menacés dans leur existence à agir rapidement. La Confédération, les cantons et les communes s’activèrent. En 1907, la loi cantonale sur le phylloxéra a été adoptée en votation populaire et un fonds cantonal pour la viticulture a pu être créé. Ce fonds a permis de verser des contributions de renouvellement et des indemnités de perte aux viticulteurs.
« Si un cep de vigne est malade au point que ses feuilles changent de couleur, se dessèchent, que les pousses de l’année meurent aux extrémités. Si, par exemple, l’examen des racines, qui doit être effectué immédiatement, permet d’observer des épaississements en forme de nœuds et, sur ceux-ci, de minuscules pucerons jaunâtres, à peine de la taille d’une graine de pavot, nous avons devant nous le pire ennemi de notre culture la plus noble, le phylloxéra ».
C’est ce qu’écrit Heinrich Freiherr von Schilling en 1899 à propos du phylloxéra. Des essais ont donc été entrepris très tôt pour maîtriser le phylloxéra : Les parcelles de vigne infestées ont été isolées autant que possible et le phylloxéra a été combattu chimiquement : du sulfure de carbone a été injecté dans les sols de vigne infestés à l’aide de grosses seringues (pals injecteurs). Un travail intensif, dangereux (risque d’incendie) et coûteux.
Une méthode biotechnique de lutte contre le pou était et reste le greffage des ceps de vigne. Après avoir découvert que les vignes américaines survivaient à l’attaque du phylloxéra sur leurs racines, le greffage a pris une grande importance à la fin du 19e siècle. Des porte-greffes américains ont été importés à grande échelle, sur lesquels ont été greffés les cépages nobles européens souhaités.
Au lac de Bienne aussi, on craignait l’inévitable invasion du phylloxéra. C’est pourquoi la société viticole a adopté, lors de son assemblée générale de 1901, un règlement pour une station d’essai de vignes américaines à Douanne. Cette station devait être approuvée par le canton et faire l’objet d’une concession. En 1902, des porte-greffes américains furent importés pour la première fois de France et désinfectés, si bien qu’en 1903, plus de 10’000 pieds de vigne greffés d’un an pouvaient déjà être livrés de Douanne – et ce, avant même que le phylloxéra n’arrive dans notre région. En 1906, la société viticole décida de construire un local de greffage et d’agrandir les champs d’essai dans le marais de Douanne. Fin juin 1907, l’atelier de greffage était prêt à être emménagé.
Une production intensive de plants de vigne greffés commença alors. Les vignerons de La Neuveville construisirent eux aussi un local de greffage afin de répondre à la forte demande de ceps greffés. Les vignerons travaillaient au salaire horaire dans l’atelier de greffage, en hiver pour tailler le bois de vigne et greffer les ceps, au printemps et en été pour planter et soigner les vignes sur les parcelles expérimentales dans le marais près de la gare de Douanne.
Durant son mandat, le premier directeur de la station d’essai a tenu une comptabilité méticuleuse du nombre de plants qui devaient être remis, plantés et éventuellement remplacés. De 1903 à 1929, plus de 1,2 million de plants ont été fabriqués et remis aux propriétaires de vignes de La Neuveville, Gléresse, Douanne et Tüscherz-Alfermée. Ins, Erlach, Bienne, Gampelen, Brüttelen, Lüscherz, Pieterlen, Bühl, Gäserz et Spiez ont également été approvisionnés en ceps de vigne greffés. Jusqu’en 1929, plus de 4100 parcelles ont pu être plantées (reconstituées) avec de nouveaux ceps de vigne.
Les porte-greffes américains utilisés ont également été soigneusement notés. Certains des porte-greffes testés à l’époque sont encore utilisés aujourd’hui, comme le Vitis Riparia x Vitis Berlandieri ou le Vitis Riparia x Vitis Rupestris (RR3309).
Le greffage est aujourd’hui assuré par des pépinières viticoles spécialisées, car dans le monde entier, les nouvelles plantations utilisent exclusivement des vignes greffées.